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La céramique, vaste sujet. On en trouve partout à travers le monde. Mais après y avoir vécu, je peux affirmer sans crainte que le Japon et la céramique entretiennent une relation toute particulière, et ce, depuis des siècles. À tel point que la céramique est l’une des premières images qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on fait référence au Japon dans notre société contemporaine.

Je me pose pas mal de questions sur cette relation. Comment la céramique à travers le temps et les époques ? Comment le Japon a réussi à garder cet engouement envers la céramique ? Quelle est réellement la place de la céramique dans la société japonaise et vers quoi elle tend ?

Au regard de mes rencontres avec des artisans et de mes expériences au Japon, je pense avoir cernée quelques éléments de réponses.

L’image de la céramique.

Une différence de perception.

Tout d’abord, il y a une différence de perception de la céramique entre le Japon et la France. En France, la céramique est considérée comme un art mineur. Bien que les mentalités évoluent dans le bon sens, l’étiquette du métier “manuel” fait de la  résistance et insinue poliment que c’est un métier qui n’équivaut pas aux métiers dits “intellectuels”. Les métiers de la céramique ne font  pas exception. Or, au Japon, la céramique et l’artisanat en général sont considérés comme un art majeur au même titre que le cinéma, l’architecture, les arts visuels, la musique, la sculpture, la littérature et l’art de la scène. Donc, dans la conscience collective japonaise, c’est un art reconnu et respecté et qui représente un pan important de leur identité culturelle. Cette différence de perception montre un premier élément de réponse et pose les bases sur ce que représente la céramique au Japon.

Une diversité des savoir-faire.

S’ajoute à cela une réelle richesse de technique et de savoir-faire. C’est simple, dans chaque préfecture, il y a au moins un artisanat de céramique avec un savoir-faire particulier. Sa spécificité peut se trouver au niveau de la matière première, de la mise en forme ou même de l’objet. Il y a même des villages réputés pour leur céramique et leur technique. Je pense notamment à la ville de Seto, connue pour sa technique d’émaux à base de cendre et métaux pour les bols de cérémonie du thé. Ou encore la ville d’Imari, considérée comme l’un des berceaux de la céramique au Japon. Elle est notamment connue grâce à ces céramiques blanches dues aux nombreux gisements de Kaolin à ces alentours.

Tous ces endroits sont autant de lieux potentiels d’expérimentation et leur existence et leurs multiplications a pour effet de créer une effervescence autour de la céramique.

Sans compter la diversité de techniques, la céramique se retrouve dans toutes sortes d’objets du quotidien. En effet, on retrouve la céramique dans l’univers de l’art de la table avec les bols et les plats. Mais dans des objets un peu moins communs comme les accessoires pour les cheveux ou bijoux. Et pour finir les éléments décoratifs ou statues. Cette omniprésence de la céramique avec les objets du quotidien lui confère une certaine proximité avec les Japonais qui ne fait que renforcer leur intérêt pour cet artisanat.

cémariques émaillées
Art de la table en céramique
Accessoire pour cheveux en céramique
Accessoire pour cheveux
une statue en céramique
Statue

L’ excellence de l’artisan

Enfin, il y a comme une quête de l’excellence du céramiste. En soi, cette quête d’excellence n’est pas exclusive à cette profession ni au Japon bien au contraire. Je pense que n’importe quelle personne passionnée aura tendance à l’avoir. Mais il faut reconnaître que les Japonais ont réussi à pousser cela à un tout autre niveau.

Artisan faisant une céramique

Dans la céramique, il y a la volonté du bon geste. La technique du “raku” est un bel exemple. Au Japon, la céramique requiert des années de pratique pour avoir ce qui est considéré comme le bon geste pour tendre vers la perfection. Ainsi, l’apprentissage est long, car l’apprenant doit comprendre les bons gestes de chaque étape avant de passer à la suivante. C’est une méthode qui peut être décourageante, mais qui permet d’avoir des objets d’exception et maîtrisés, capables d’exprimer toute leur essence. C’est une sorte de volonté de trouver le chemin pour transformer son travail en une sorte d’art.

Ensuite, il y a la reconnaissance des pairs. Il y a même un mot pour cela. Il s’agit de “sensei”. Dans la vie courante, son premier sens est de désigner le professeur ou l’enseignant dans le cadre scolaire. Mais lorsqu’il sort de ce contexte, c’est pour désigner une personne qui a éteint dans son domaine un tel niveau de compétence qu’il inspire le respect. Ici encore ce n’est pas réservé à la céramique. Pour vous donner un exemple flagrant : Eiichiro Oda (尾田 栄一郎) l’auteur de One pièce est appelé “Oda-sensei” pour marquer le respect sur l’ensemble de son œuvre. Ainsi, cette appellation a pour effet de valoriser la personne et son excellence dans son travail.

Et bien sûr il y a la reconnaissance de l’État. Notamment avec des prix d’excellence, comme KOUGEI. Cette reconnaissance est de double. Elle valorise les compétences de l’artisan. Mais surtout elle annonce officiellement que l’artisanat en question fait partie intégrante de l’identité culturelle japonaise. J’ai pu assister à une des expositions à Fukuoka, j’ai pu voir découvrir un large panel d’artisanat et assisté à des démonstrations et des ateliers de ces derniers. J’ai pu donc me rendre compte de l’impact positif de la valorisation de l’artisanat par l’État sur les Japonais.

Deux artisans de céramique fabriquant des statues.

En examinant tous ces éléments, on peut nettement sentir que l’artisanat en général a une grande estime dans l’esprit des Japonais. Il est gage de qualité, de raffinement et d’excellence. Mais cette excellence a un prix et tout le monde ne peut pas acheter de la céramique comme cela. Alors comment la céramique fait pour durer dans le temps ?

Une source d’inspiration

Étant gage de qualité et de raffinement dans la conscience collective, l’industrie a repris les codes esthétiques de la céramique traditionnelle et plus précisément les effets colorés. Même s’il s’agit que d’une imitation mais cela est plus abordable pour une partie de la population. Bien sûr, cela n’est pas forcément une bonne chose pour la céramique d’un point de vue économique mais je pense qu’il faut quand même soulever le fait que cela entretient visuellement les codes esthétiques de la céramique au quotidien. Et ainsi permet à la céramique de ne pas sembler désuet et de tomber dans l’oubli.

La céramique : un artisanat transversal

La céramique a aussi un autre gros avantage. C’est un artisanat qui s’immisce dans d’autres. Je parle notamment des bols pour la cérémonie du thé ou encore les vases pour l’Ikebana l’art de la composition florale. Le fait d’apparaître au sein d’autres artisanats accentue son omniprésence. Cela lui confère une place solide et durable dans la société actuelle notamment d’un point de vue culturelle et artistique.

En devenant une source d’inspiration, en s’implantant dans la conscience collective comme un élément indispensable pour d’autres activités, lui a permis de perdurer jusqu’à maintenant.

Mais je pense que ce qui a fait la réussite de la céramique, c’est que c’est un artisanat vivant.

Ludique

C’est un artisanat ludique. Même si nous ne sommes pas professionnels. Cela n’empêche pas de pouvoir en faire. Il y a de nombreux événements où l’on peut tenter l’expérience. J’ai d’ailleurs eu la chance de participer à l’un d’entre eux. J’ai pu faire une Hakata Ningyou. Bien sûr, je n’ai pas fait toutes les étapes seulement la dernière. On m’a donné une petite statue à peindre. On m’a expliqué les différentes étapes et je me suis lancée. Ce n’est pas du grand art, mais je me suis vraiment amusée. Et cela a piqué mon intérêt.

Accessible

Il est également possible de prendre des cours. Et c’est ce que j’ai fait. J’en ai pris plusieurs dans l’atelier Konmondo à Fukuoka. J’y ai appris plusieurs techniques, une que je connaissais déjà “le tournage” et une nouvelle “ Himodzukuri” qui est très différente de la manière occidentale pour faire de la céramique. J’ai trouvé cela très intéressant et enrichissant. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est qu’il y avait d’autres personnes de tout âge et de tout niveau qui étaient là pour leurs propres cours. J’ai autant appris d’eux que de ma prof. Cela m’a montré comment la céramique à surpasser les barrières de la langue et des générations.

Sa capacité d’adaptation

Enfin, la céramique a une capacité à pouvoir évoluer et être en accord avec son temps. Le travail de Tomoro Mizono en est un bel exemple. Il a réussi à dépoussiérer son artisanat le “Nerikomi”. La technique est la même, mais il a changé les couleurs et les motifs pour rendre ses objets plus contemporains. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela fonctionne extrêmement bien.

Médaillons en céramique

Tous ces éléments montrent que la céramique est un artisanat accessible, intergénérationnel et évolutif. Cela m’amène à penser aux potentiels de tout ce corps de métiers. Peuvent-ils nous inspirer en termes de production et de technique ? Est-ce transférable à d’autres matériaux ? Mais est-ce que cela peut aussi aller dans l’autre sens ? Est-ce que le design et la pensée collaborative des makers peuvent faire évoluer cet artisanat ? Jusqu’où les nouvelles technologies peuvent-elles repousser ses limites en termes de production, de technique ou même de matériaux ? C’est tout autant de questions auxquelles je vais essayer de répondre, j’ai hâte !

Voulez-vous connaître des techniques spécifiques ?

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